INTERVENTION PRÉALABLE
Monsieur le Président,
Chères et chers collègues,
Figurez-vous que je voulais faire plaisir à nos amis Marc Grivel ou Pierre Chambon, ainsi qu’à nos collègues des bancs des Républicains, en m’en tenant strictement à la Métropole, que la Métropole, – rien qu’à la Métropole pour paraphraser un néo-politique qu’il connait bien.
Hélas, le néo-politique semble avoir déjà dévoyé l’expression mais surtout nous allons discuter du Débat d’Orientation Budgétaire dans un contexte national inflammable — un chaos politique, économique et social organisé par le chef de l’état en premier lieu et ces complices.
Alors convenez-en, ouvrir ce conseil en faisant comme si tout cela n’existait pas… c’est un peu court pour appréhender l’intérêt général. Sauf à se contenter d’être les gestionnaires béats des conséquences, sans jamais interroger les causes.
À moins — sans l’assumer — d’être les agents de liaisons d’un dogme, celui selon lequel il serait inévitable, qu’il y ait demain moins d’argent public. Et cela alors même que le pays, lui, n’a jamais cessé de s’enrichir ces dernières années. Et de livrer la culture, le sport, la vie associative au seul bon vouloir du monde marchand en répétant à l’envie : les financements publics vont baissez, il n’y a pas d’alternative, c’est une fatalité/inexorable. En faire un refrain entêtant pour masquer ce que vos amis organisent à Paris, et le présentez ici à Lyon comme une fatalité, une loi subie de la nature.
Ce faisant vous affaiblissez d’abord la pensée politique la pensée politique, c’est une chose en feignant d’oublier que les conséquences sont les effets des causes. En faisant passer pour inexorable ce qui relève de décisions gouvernementales très concrètes. Mon collègue Legendre y reviendra.
Mais surtout, ce faisant, en abîmant la démocratie.
Socialiser les ressources, socialiser les richesses, les partager réellement, et faire en sorte que chacune et chacun puisse ensuite avoir voix à leur affectation — selon un positionnement collectif, démocratique, délibéré — avouez que c’est tout de même une vision de la société radicalement différente de celle que vous nous proposez.
Car votre modèle, si on le résume honnêtement, c’est celui dans lequel les 500 familles, le riche, le détenteur de capital, décident de l’intérêt général à la place de toutes et tous : selon leurs goûts, leurs couleurs, leurs priorités privées, en distribuant des sourires et des faveurs à qui leur convient, et en laissant les autres leur faire la cour. Et -disons-le- votre modèle se satisfera peut-être bientôt d’un naming des casernes de pompiers car je suis désolé de vous le dire M. Le Ministre, votre Beauvau de la sécurité n’a rien réglé.
Bref : un modèle où le bien commun dépend du bon vouloir des possédants, quand nous, nous défendons un modèle où le bien commun se construit ensemble, par la puissance publique et par le peuple.
Une seule chose est inexorable cher collègue, Pablo Neruda nous l’a murmuré il y a 70 ans : c’est le printemps.
Le reste ce sont des choix.
C’est le choix d’Emmanuel Macron de se maintenir au pouvoir, alors même qu’il a été désavoué maintes et maintes fois par les urnes.
C’est leur choix, avec M. Lecornu, de nous avoir offert la pire séquence politico-médiatique que cette Ve République ait produite : un vaudeville guignolesque, pitoyable et dramatique.
Où le plus éphémères des premiers ministres, chassé par la colère populaire du mouvement Bloquons tout, est revenu non pas par la petite mais par la grande porte, pour servir exactement la même politique, la même arrogance, la même impasse sociale.
Quant à la droite, elle joue au chat et à la souris : un jour avec le pouvoir, un jour contre ; une main dans le plat, l’autre dans le dos.
Et ici, c’est pareil : on se tient derrière M. Aulas, mais pas trop près — au cas où il faudrait courir dans l’autre sens si la marionnette de Wauquiez venait tout à coup à se désarticuler.
C’est un choix, en ce moment même, de continuer à mépriser les institutions, d’en abîmer le sens, de défaire la République. En se préparant à faire passer un budget par ordonnance, en maquillant — avec l’aide des bouffons du roi et de quelques idiots utiles — un simple report de trois mois d’une réforme des retraites inique, en une prétendue « suspension ».
Un tour de passe-passe, rien de plus.
C’est un choix, et je regrette qu’il ai été celui de nombreuses familles politiques de cette hémicycle, j’avoue même que j’en ai été attristé, d’avoir voté à Paris une projet de loi de financement de la Sécurité sociale d’une indignité sans nom.
Celui-là même qui fait porter sur les malades, sur les retraités, sur les femmes seules et sur les enfants le poids des économies de Bercy. On gèle les pensions, on réduit les remboursements de soins, et — comble du cynisme — on introduit un contrôle renforcé des arrêts maladie, comme si la maladie était une fraude, comme si les travailleurs malades étaient des suspects en puissance. Comme si les conséquences de l’exploitation, de l’épuisement des corps et de la précarité n’étaient pas des réalités sociales, mais des suspicions individuelles à surveiller.
En clair, le gouvernement préfère traquer les symptômes de la misère plutôt que les causes : il contrôle ceux qui produisent de leur mains la richesse mais s’interdit de toucher aux profits records du CAC40.
Et pendant ce temps, la “taxe Zucman” — la seule qui aurait permis de rétablir un minimum de justice fiscale, de faire enfin contribuer les ultra-riches — a été rejetée. Voilà le vrai visage de cette politique : la rigueur pour les plus faibles, la complaisance pour les plus forts.
Et les conséquences, nous les voyons ici, directement, dans la Métropole de Lyon : dans nos rues, dans nos écoles, dans nos hôpitaux, dans nos casernes de pompiers, et jusque dans nos foyers.
Car lorsque le pouvoir central s’enferme dans sa verticalité et construit son budget sur la misère, ce sont les collectivités qui paient la facture, financièrement, socialement, humainement.
Nous, ici, élus métropolitains, constatons chaque jour l’effet concret de ces décisions : la montée de la précarité et l’effondrement des services publics.
Et en premier lieu celui pour lequel nous devrions nous tenir debout, sans faiblir, parce qu’il dit quelque chose de l’avenir même de notre République : la protection de l’enfance.
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PROTÉGER L’ENFANCE, DÉSOBÉIR A L’INDIFFÉRENCE
Depuis neuf mois, 280 ans de nos enfants sont abandonnés de notre république. 280 qui vivent dans des tentes, dans les jardins des Chartreux. Neuf mois d’errance, de froid, de faim, de peur.
Ces jeunes, pratiquement tous mineurs et seront reconnus comme tel, dorment dehors en plein cœur d’une métropole des plus puissantes de notre pays. Devant ce drame, le Collectif Migrant Croix Rousse a fait appel aux associations de l’urgence humanitaire. Les deux jours qu’ont passé sur site Médecins sans frontières, Utopia 56 confirmé l’ampleur de la crise. Le mot d’urgence humanitaire n’est pas exagéré : la santé physique et mentale de ces jeunes est gravement dégradée, les laissant dans une situation de très grande vulnérabilité. Après les canicules et avec l’hiver arrivant, cette situation continuera de se dégrader.
Et face à cela, l’État se tait. La préfecture ne répond pas. Les dispositifs d’urgence sont saturés.
Les associations suppléent, pallient, colmatent, s’épuisent.
La Métropole a déjà agi par le passé oui, en créant la Station, l’Étincelle, et d’autres dispositifs de soutien. Nous ne le nions pas. Mais il faut le dire : ces lieux sont des espaces transitoires, ce ne sont pas des protections. Ce ne sont pas des mesures de protection de l’enfance, au sens du droit. Ces jeunes devraient bénéficier de la présomption de minorité prévue par le droit international, et donc être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance.
Alors que faisons-nous ? Quels choix faisons-nous ?
Attendons-nous la permission de la préfecture démissionnaire pour agir ? Ou choisissons-nous sans attendre de désobéir à la carence de l’État avant de le mettre face à ses responsabilités devant les juridictions de ce pays ?
C’est possible ! C’est possible dès demain par des mesures concrètes et immédiates :
- La mise à disposition de logements vacants appartenant à la Métropole ou à des bailleurs publics, comme cela a été fait pour les femmes à la rue.
- La gratuité des transports pour les jeunes du campement des Chartreux, afin qu’ils puissent se déplacer, se laver, se nourrir, sans craindre le contrôle. Devant le nouveau système billettique aucune justification techniques ne sont plus entendables. Il s’agit d’un choix politique.
- Et enfin, invoquer l’urgence humanitaire pour ouvrir un camp temporaire aux normes du Haut-Commissariat aux Réfugiés, si c’est la seule solution pour mettre ces jeunes à l’abri avant l’hiver. Reprenons à notre compte l’appel et le constat des associations confortés par des ONG internationalement reconnus.
Et puisque nous parlons d’humanité, je veux dire ici notre profonde indignation face aux décisions de la maire de Décines : d’abord le refus d’un permis de construire pour un centre d’hébergement, puis une procédure-bâillon contre l’association Hébergement en Danger.
Je le dis calmement, mais très clairement : ce type de positionnement alimente des peurs et des fantasmes, nourrit un racisme latent — celui-là même qui, partout en France, sert aujourd’hui de carburant aux pires rhétoriques.
Quand des élus de la République se mettent en travers de la solidarité, ce n’est pas seulement une faute politique. C’est une faute morale.
Chers collègues, la métropole de Lyon a une histoire, une tradition, une réputation : celle d’un territoire d’accueil, d’humanisme concret.
Alors avec Pablo Neruda, oui, rappelons-nous que « la primavera es inexorable » — le printemps est inexorable : aucune politique de fermeture, aucune peur attisée, aucune indifférence institutionnelle ne pourra empêcher l’humanité de renaître si nous choisissons de la faire vivre.
Je vous remercie.
