Régie Publique de l’Eau : un bien commun à protéger

Publié par Florestan Groult le

Intervention sur la Régie Publique de l’Eau par Florestan Groult, élu du groupe « Métropole insoumise, résiliente et solidaire », lors du conseil de la métropole de Lyon des 14 et 15 décembre 2020.

Délibération 2020-0312. Seul le prononcé fait foi.

La vie. La vie, mes chers collègues, c’est bien l’enjeu au cœur de ce dont nous parlons aujourd’hui. Laissez-moi vous emmener brièvement, il y a 4,3 milliards d’années.

Le globe n’est alors que magma en fusion et atmosphère saturée de dioxyde de carbone. Il va falloir d’incroyables circonstances pour que s’initie ce qui allait faire tout changer : le premier cycle de l’eau, celui à l’origine des pluies qui ont recouvert les deux tiers de la terre. Et c’est là, au creux des océans ainsi formés, que va advenir la chose la plus incroyable, la plus mystérieuse, la plus sublime : la vie.

La molécule d’eau, il faut s’en souvenir, chers collègues, c’est le lien entre le non-vivant et le vivant. Elle nous façonne nous et elle façonne nos sociétés.

Dire alors que cela en fait un bien à part et, qu’en conséquence, elle doit être gérée en s’extrayant de toute logique marchande. Dire que plus qu’une ressource, elle doit être considérée en bien commun. Dire cela, en fait une position politique, oui mais nous l’assumons pleinement, mes chers collègues.

J’ai ce bracelet au poignet que je vous montre en ce moment. Nous avons, toutes et tous, un objet comme cela. L’évaluez-vous à son seul prix ? Votre choix de le conserver, d’en prendre soin, de le protéger se fait-il uniquement sur sa seule valeur marchande et monétaire ? Non. Non, car il a une autre valeur à vos yeux. À nos yeux, l’eau a cette valeur autre. Celle qui l’extrait d’être évaluée sous le seul prisme de l’efficacité économique de la rentabilité.

Alors, souvent il nous est demandé : mais pourquoi la régie publique de l’eau ? Mais parce qu’elle se fait précisément sur ce statut particulier. Un besoin vital et donc un droit fondamental. Le droit d’avoir accès en quantité et en qualité à l’eau qui permet de boire, l’eau qui permet la dignité, l’eau qui permet le soin des corps. Le retour en régie publique, c’est d’abord cela. L’instrument d’accès pour toutes et tous à ce droit fondamental. Et cela implique une maîtrise complète, démocratique, organisationnelle, sociotechnique, culturelle, une maîtrise complète par la puissance publique, sans préemption, ni dépendance à des intérêts privés.

Comment cela se traduit ? En premier lieu, en se plaçant en dehors d’une logique marchande. Car nous croyons que ces droits essentiels ne doivent pas faire l’objet d’enrichissement individuel ou de la rémunération d’actionnaires. Et ne nous caricaturez pas, ce n’est pas être anti-entreprise ou anti-économique que de dire que ce qui relève des droits fondamentaux doit sortir de la sphère du profit.

En second lieu, et les personnes qui ont parlé avant moi l’ont bien dit, l’essentiel de la maîtrise technique, l’exploitation et la gestion du service public de l’eau potable, demandent un savoir-faire particulier, des procédés complexes, des technologies pointues. Dans un monde toujours plus incertain, nous aurons demain toutes et tous à faire face à des nouveaux enjeux, à prendre de nouvelles directions, à faire des choix. Sans cette maîtrise technique, nous serons dépendants du bon vouloir d’intérêts privés. Intérêts privés qui ne pourront jamais complètement s’extraire de la confusion de leurs objectifs parmi lesquels faire du profit. Et, c’est pourquoi, ce capital technique-là mérite d’être remis dans le patrimoine public et dans le patrimoine de la collectivité au sein d’une régie publique de l’eau.

Après plus des dizaines voire des centaines d’années de délégation au privé qui exercent déjà leur domination technique et technologique dans nos choix, laisser ces connaissances être confisquées, c’est rendre vulnérable la souveraineté de la communauté à laisser de la gestion de l’eau pour le bien de toutes et tous.

Et c’est ce savoir-faire, cette connaissance, cette expertise technique qui est précisément chez les salariés d’Eau du Grand Lyon que nous allons accueillir au sein de la régie. Elle est toute aussi présente au sein de nos services. Ce capital d’expertise, nous devons le cultiver, le reconnaître comme patrimoine collectif, le valoriser aussi au sein d’un pôle d’expertise national public comme France eau publique.

Cela me permet, chers collègues, d’en arriver plus précisément au statut juridique que nous avons retenu pour la régie publique de notre Métropole de Lyon. Un statut juridique qualifié donc à autonomie financière avec la personnalité morale. Pourquoi ce statut ? Nous parlions des salariés, de leur savoir-faire, de leur mode de fonctionnement, de leur sens du métier. Eh bien, comme l’a très justement dit madame la Vice-Présidente que je salue pour la conduite de cette démarche, nous nous devons d’accueillir cette richesse humaine au mieux, en garantissant à ces personnes, l’ensemble de leurs conquis sociaux et de leurs conditions de travail.

La régie publique à autonomie financière et personnalité morale permet aussi une organisation singulière, maître de ses propres processus et c’est nécessaire pour pouvoir exercer dans les meilleures conditions, sa mission de rendre effectif le droit à l’eau.

Enfin et surtout, c’est bien le seul statut qui permet une place directe dans la décision pour les citoyens et les usagers. Il n’y en a pas d’autre. Avec une vraie voix délibérative au sein même du CA de la future régie, nous pourrons qualifier cette régie publique de citoyenne.

Chers collègues, cette maison de la régie publique reste entièrement à bâtir. Nous vous l’avons dit. Je l’ai exprimé, nous ne sommes plus dans le temps de la discussion, sur “l’opportunité de”. Et, c’est pourquoi, nous voterons avec toute notre conviction politique contre l’amendement que vous nous avez proposé. Néanmoins, c’est avec cette même conviction que nous souhaitons construire, en commun, cette bâtisse et c’est la logique de l’offre de madame la Vice-Présidente, de poursuivre ce chantier de manière plurielle, ouverte à toutes et tous, ici, aux groupes d’opposition mais aussi à l’extérieur de cette assemblée, aux associations, aux usagers, aux futurs salariés.

Dans les briques à poser, à bâtir nous devrons nous prononcer sur le périmètre exact de cette régie, sur le financement particulier de ce service public, sur les modalités d’association des usagers rendue possible je l’ai dit par le statut que nous avons choisi. Certaines régies qui ont déjà fait ces choix, il y a 10 ans, étaient pionnières et ont ouvert la voie. Nous comptons poursuivre ce chemin et je suis convaincu, que par son envergure nationale, la Métropole de Lyon sera, à son tour, se montrer précurseur sur certains sujets.

C’est dans ce sens que nous porterons, lors de ce travail de construire cette bâtisse, sur le périmètre l’idée que pour rendre effectif le droit à l’eau pour toutes et tous, nous devons prendre en considération les usagers non connectés au réseau, les grands oubliés du service public de l’eau, ceux qui ne sont pas connectés, qui n’ont pas de compteur, qui n’ont pas accès. C’est pourquoi nous proposerons d’intégrer dans les compétences de la régie le maillage en fontaines et en toilettes publiques, mais aussi en bains-douches, avec accès à des laveries et à des protections périodiques pour l’hygiène féminine. Ainsi, le droit à l’eau serait effectif.

C’est bien sûr aussi un mode particulier de financement de ce service public que nous allons travailler, en révisant la facture pour distinguer l’accès inconditionnel pour toutes et tous, propre à l’usage vital, des autres usages économiques ou ceux de confort et de luxe qui ne peuvent plus être considérés au même niveau.

Et enfin, sur l’association des usagers, nous en avons parlé, nous souhaitons que plus qu’une place purement symbolique, ils prennent une part entière dans le futur conseil d’administration de manière à équilibrer le débat démocratique. Tout comme nous souhaitons, d’ailleurs, la présence d’élus de l’opposition.

Pour conclure, mes chers collègues et je finirai avec cela, je brandis ce verre d’eau. Je brandis ce verre d’eau qui est notre monde. Je brandis ce verre d’eau qui est notre monde pour affirmer qu’il y a bien deux idéologies. Il y a celle qui consiste à adapter nos modes de vie, nos modes de faire société, à la nature, à ses limites, à son statut particulier, à l’extraordinaire contrainte d’un monde fini qu’elle nous offre. Et puis, il y a cette idéologie qui considère que la nature peut et doit se contraindre à nos modes de développement, qu’on peut lui en demander toujours plus. Qu’elle peut être livrée à de l’enrichissement individuel. Toujours plus et toujours plus. Espérant et brandissement comme souvent face aux problèmes qui sont déjà là, aux limites qui sont déjà atteintes, le mirage dogmatique de la bouée de sauvetage technologique ou de la régulation par le marché. Lui en demander toujours plus, toujours plus. Et en général, cela déborde. Ce n’est pas ceux qui ont tenu la carafe qui épongent. Il ne s’agit pas, ici, chers collègues, du simple plaisir d’une mise en scène. Il s’agit là de se rappeler de l’urgence. De l’urgence de conscientiser dans quels enjeux et quelle situation nous sommes. Peut-être avez-vous ressenti une certaine forme de tension individuelle en se demandant que va-t-il faire ? Ce verre d’eau, va-t-il déborder ? Eh bien, cette tension individuelle que l’on ressent parfois intimement face aux limites, face à l’obligation de changer de voie, de bifurquer, il nous appartient de la faire collective, de l’éprouver au cœur, dans chacune de nos décisions. Il nous faut la traduire au plus profond de nos choix, celui de la régie publique en est un et je m’en réjouis.