L’eau est un bien commun : il faut la gérer dans l’intérêt général

Publié par Florestan Groult le

Gestion de l'eau, bien commun dans l'intérêt général : Intervention de Florestan Groult lors du conseil de la métropole du 15 mars 2021.

Intervention sur la eau, bien commun à préserver, par Florestan Groult, élu du groupe « Métropole insoumise, résiliente et solidaire », lors du conseil de la métropole de Lyon des 15 et 16 mars 2021.

Délibération 2021-0519. Seul le prononcé fait foi.

Bonjour, merci. Monsieur le Président, madame la Vice-Présidente, chers collègues, d’abord j’espère que je n’aurai pas les mêmes petits soucis techniques comme pour ma dernière intervention et pour lesquels je m’excuse.

En fait, je vais reprendre quelques mots, que j’ai pu d’ailleurs dire en commission thématique car derrière l’événement d’exploitation d’envergure qui fait l’objet de cette délibération, se cachent des enjeux essentiels et ils sont, je trouve, l’occasion de poursuivre et illustrer notre pensée politique de manière tout à fait concrète et de nourrir notre débat démocratique passionnant et passionné sur la thématique de l’eau.

En effet, certains ici ont pu nous dire “hors-sol” ou d’autres même “illuminés”, n’aimant pas forcément les introductions, je le concède un petit peu lyriques. Cependant, ces mots jetés au vent ne suffiront pas à cacher le souffle court argumentatif d’une pensée néo-libérale qui nous mène aujourd’hui dans l’impasse car, non, tout n’est pas affaire de données technico-économiques, comme je l’ai encore entendu lors du débat radar de Médiacités, jeudi dernier sur la régie publique de l’eau, entre monsieur Pelaez et madame la Vice-Présidente.

Oui, il y a des arguments politiques qui dépassent ces données tehnico-économiques, des arguments qui les transcendent et cette délibération le prouve et me permet de montrer et de recadrer l’idée qu’on est surtout porteur d’orientations nouvelles extrêmement importantes et bien loin de quelque chose de nuageux, tout au contraire.

Tout au contraire, car on le voit bien sur une opération comme celle-là, que l’on dénomme les “chasses du Rhône” habituellement, à quel point le cycle de l’eau est intégré de l’amont à l’aval par tout un ensemble d’acteurs. Et avec, ce constat de départ, nous pouvons introduire comme premier sujet la privatisation des barrages d’EDF.

Vous le connaissez ce sujet-là, je ne vous apprends rien, il se fonde justement sur des arguments technico-financiers qui nous promettent, comme toujours, une concurrence accrue pour une rentabilité plus grande et un coût moindre pour les usagers. L’objectif est donc de morceler, confier à des opérateurs privés, tous ces ouvrages d’exception par l’intermédiaire d’un appel d’offres.

Or, chers collègues, toutes les études montrent à quel point ce serait catastrophique d’avoir une fragmentation des acteurs qui rentreraient alors en concurrence et ce serait donc catastrophique de sortir de ce schéma actuel où l’État via EDF, apporte une solution intégrée de l’amont vers l’aval, en faveur de l’intérêt général et non pas pour dégager le plus possible de marges bénéficiaires d’exploitation sur chacun des ouvrages et pour chacun des opérateurs.

Le capital technique de ces ouvrages mis au patrimoine collectif est absolument nécessaire à la réussite de ces opérations qui, je vous le rappelle, partent de Suisse, pour arriver jusqu’à notre champ captant qui alimente 90 % de la Métropole en eau.

Plutôt que de voir l’extraordinaire coordination, le savoir-faire public, les arbitrages extrêmement complexes entre les périodes d’étiage, les périodes des hautes eaux pour subvenir aux besoins de chacun, à tous les usages différents en faveur de l’effet général, quel effet produira cette mise en concurrence ?

Non, on le voit bien là, l’optimisation du bénéfice ne fait pas l’intérêt général et cet exemple l’illustre, je crois, vraiment très concrètement. S’extraire de cette confusion entre poursuivre le profit et œuvrer à long terme pour garantir les besoins essentiels, ce sont exactement les mêmes mécanismes qui président au retour en régie publique de l’eau.

Mes chers collègues, privatiser ces barrages, finalement c’est privatiser des masses d’eau. En fait, ce projet défendu par notre Gouvernement et la République en Marche nous sortirait aujourd’hui tout simplement et tout bonnement de la conception même du bien commun que nous avons ; une extrême gravité donc, car d’ailleurs, qu’est-ce qu’un bien commun ? Cela me paraît être important de revenir à la définition, vu à quel point ce terme peut être tellement utilisé qu’il en finit par être dévoyé et en perte de sens et ce n’est d’ailleurs pas pour le simple plaisir que nous le réinscrivons dans notre délibération, mais bien pour le réaffirmer.

Un bien commun s’évalue à l’aune de deux critères : une rivalité d’usage et une excluabilité. Un bien commun, c’est un bien qui est rival, c’est-à-dire qui a un conflit d’usage, une concurrence d’usage qu’il nous faut arbitrer dans le sens du bien commun. Mais c’est un bien qui est non-exclusif, c’est-à-dire que, en théorie, tout le monde y a accès. C’est ce qui fait et ce qui fonde une régulation que nous souhaitons institutionnelle.

Demain, si on privatise les barrages, on privatise ces masses d’eau, on les rend exclusives. Or, je vous rappelle que les barrages stockent aujourd’hui 75 % de la ressource en eau disponible sur notre territoire. Et là, vous voyez bien qu’il ne s’agit pas d’attribuer les masses d’eau que possèderaient chacun de ses barrages, en ne reposant simplement que sur l’idée de choisir le coût le plus opportun. Parce que si l’on revient à un tel mécanisme, c’est la loi du marché qui s’applique et les agriculteurs d’ailleurs, qui nous demandent aujourd’hui d’utiliser le Rhône comme ressource de substitution pour demain, alors que, je vous le rappelle, son débit diminuera de 20 % à 30 % à l’horizon 2030, seront loin d’être les premiers servis. L’intérêt général disparaîtra au profit et simplement du mieux-disant.

Je vous renvoie d’ailleurs vraiment au documentaire d’Arte dont nous avons très souvent parlé, mais également à ce très bon documentaire “Barrages sous haute tension” que je vous invite à regarder.

Alors donc, chers collègues, quand on parle de biens communs, quand on parle de droit à l’eau, quand on dit que toute la régulation ne peut pas se faire uniquement par la loi de l’offre et de la demande et que la location de la ressource en eau doit se faire par des arrangements, des accords institutionnels en faveur de l’intérêt général et non pas par la loi du marché, nous sommes, oui, sur des enjeux très concrets. Elle ne peut pas impliquer la confusion avec des intérêts privés. Si on changeait ces mécanismes, la délibération présentée aujourd’hui, qui permettra à l’ensemble des 1,4 million de Grand Lyonnais de bénéficier d’une eau de grande qualité pendant cette épisode, alors que le Rhône sera complètement chargé en matières en suspension, ne serait plus garantie demain.

Alors oui, pour conclure, je n’ai nul doute que nous partageons l’idée que l’eau est précieuse. Je ne vous caricaturerai pas comme vous aimez tant le faire. Mais cela s’arrête-là en fait, parce que la méthode que vous nous proposez met en péril le principe même du commun et c’est par cette mise en péril si grande que ce discours, que votre discours devient inaudible aujourd’hui et d’ailleurs finit, peut-être à tort, par questionner sur vos intentions.

Vous me permettrez, en clin d’œil à monsieur Pelaez, même si je n’ai pas eu le plaisir de débattre de ces sujets avec vous pendant le réveillon, de vous rappeler que si nous n’avons pas le monopole du cœur, vous n’avez pas le monopole du sérieux. J’espère vous en avoir convaincu et je suis à disposition pour d’autres échanges. Merci monsieur le Président.