Extension de la ZFE+ : une solution déséquilibrée

Publié par Laurent Legendre le

Intervention de Laurent Legendre sur l'extension de la ZFE de la Métropole de Lyon. Un avis mitigé pour une solution qui nous semble déséquilibrée.

Intervention sur l’amplification de la ZFE par Laurent Legendre, élu du groupe « Métropole insoumise, résiliente et solidaire », lors du conseil de la métropole de Lyon des 15 et 16 mars 2021.

Délibération 2021-0470. Seul le prononcé fait foi.

Monsieur le Président, monsieur le Vice-Président, chers collègues, au début des années 1970, autour de son ouvrage intitulé “La convivialité”, Ivan Illitch popularisait l’idée selon laquelle l’automobiliste irait finalement moins vite que le cycliste, en prenant en compte non seulement le temps de déplacement mais aussi le temps de travail nécessaire pour l’achat et l’entretien du véhicule, le modèle de la voiture individuelle deviendrait contre-productif. Cinquante ans plus tard, nous partageons plus encore ce constat.

Depuis des décennies, nous avons organisé l’aménagement du territoire autour de la voiture individuelle. Synonyme de liberté, l’ensemble de notre vie s’est articulée pour beaucoup d’entre nous autour de ce moyen de transport pour se rendre au travail, pour les activités des enfants, pour aller faire ses courses dans les grands centres commerciaux, pour partir en week-end, pour les vacances, pour habiter dans un environnement où le prix du mètre carré d’immobilier est moins cher. Pour toutes ces raisons, les choix individuels se sont orientés vers la possession d’une voiture, souvent pour chaque membre du ménage et ils se sont orientés parce qu’on les a orientés dans une course à la consommation et à l’individualisme, rouage nécessaire à la société d’accumulation dans laquelle nous vivons.

Nous subissons depuis bien longtemps les nuisances liées à ces choix d’aménagement du territoire. On ne compte plus, par exemple, les articles citant les heures perdues dans les embouteillages, 142 heures pour les Grand Lyonnais en 2019, soit 40 minutes par jour. On peut aussi évoquer le coût économique pour un ménage pour acheter, entretenir, assurer et alimenter en énergie son véhicule, de l’ordre de 5 à 6 000 € par an en moyenne. À comparer à l’abonnement annuel des TCL, on peut s’étonner que la part modale n’ait pas évolué plus vite sur les transports en commun mais nous y reviendrons.

La qualité de l’air enfin, objet de cette délibération, est aussi une des externalités négatives de cette organisation de la société que les constructeurs automobiles ne paieront jamais.

Et si, malgré tous ces effets indésirables, les habitantes et les habitants continuent d’utiliser encore leur véhicule individuel, c’est qu’il reste encore beaucoup de leviers à actionner pour changer les modes de déplacement. L’usage est parfois devenu une contrainte forcée du fait de l’achat d’un logement éloigné de son emploi comme exemple le plus significatif parmi bien d’autres. Aussi, pour beaucoup de nos citoyens, cette délibération sera vécue comme une violence de plus, une injonction contradictoire avec le cadre géographique et économique dans lequel on leur a demandé d’évoluer. Ainsi, le cadrage de la zone à faibles émissions de notre Métropole proposé par cette délibération est un enjeu immense pour le quotidien des habitantes et des habitants, non seulement pour celles et ceux du territoire de la Métropole mais pour toutes celles et tous ceux résidant dans l’aire urbaine métropolitaine jusqu’à la Tour du Pin en Isère et Ambérieu en Bugey dans l’Ain.

Le nombre de véhicules concernés est colossal. Rien que sur le territoire de la Métropole, on parle de 75 % du parc existant à changer ou abandonner d’ici 2026, soit au minimum 250 000 véhicules en fonction du périmètre. Pour réussir un chantier d’une telle ampleur, il va falloir créer une dynamique positive qui emmène tous les habitants du territoire, les faire adhérer à l’objectif par compréhension de l’intérêt de la mesure, trouver la voie du bénéfice individuel et collectif pour déclencher le passage à l’action de chacune et de chacun. Mais aujourd’hui, tel qu’est rédigé le texte, les conditions ne nous semblent pas réunies pour cela et nous avons plusieurs réserves dans cette délibération que nous ne pourrons pas voter.

D’abord, la concertation est restreinte aux moyens d’accompagnement et au périmètre mais nous pensons que c’est sur le calendrier qu’il fallait concerter pour impulser une démarche réellement démocratique. Or, le calendrier sera figé dans la délibération et la concertation sera vécue comme une frustration de devoir débattre d’un sujet dont les conclusions sont déjà figées. Sur la concertation toujours, nous sommes circonspects du montant annoncé. Seulement 150 000 € sur le budget de cette délibération sont fléchés pour la concertation contre 700 000 € pour les études. Cela nous paraît faible et pas à la hauteur de l’enjeu, il va falloir aller chercher les citoyennes et les citoyens dans une période de crise sanitaire qui s’éternise et qui nous use toutes et tous.

Ensuite, sur la finalité de la ZFE, nous alertons sur les risques de dérive vers une société de contrôle où les caméras partout dans l’espace public viendront suivre les plaques d’immatriculation et les déplacements individuels. Comment nous prémunir des effets pervers de ces dispositifs automatiques de surveillance ?

Et enfin, le montant des aides pour les foyers les plus précaires et pour les travailleurs contraints dans leurs déplacements n’est pas indiqué. Il est renvoyé ultérieurement à une délibération en 2022 après la concertation, dont acte. Compte tenu des volumes engagés et du coût d’achat d’un véhicule Crit’Air 1, les montants de soutien devront être importants et viendront impacter fortement nos budgets institutionnels.

Une ZFE écologique aura à cœur de favoriser l’abandon d’un véhicule par un changement de mode de déplacement au quotidien plutôt que son remplacement par un véhicule neuf. Or, le calendrier proposé n’est pas en cohérence avec d’autres mesures comme le déploiement d’un réseau de transports en commun régulier et efficace, au moins sur le périmètre Lyon-Villeurbanne. Faut-il rappeler que beaucoup des habitants de Lyon et Villeurbanne n’utilisent pas les transports en commun pour des problèmes d’offre, de durée et de sécurité ? C’est l’étude de déplacement de l’aire urbaine de 2015 qui montre que notre réseau de transports en commun a encore beaucoup d’efforts à faire s’il veut se poser comme une alternative crédible à la voiture individuelle.

Nous avons largement concerté nos militants, sympathisants, professionnels, universitaires pour nous forger un avis sur cette délibération. Le principal enseignement tiré est simple : les gens trouvent écologiquement aberrant de mettre à la casse des véhicules en bon état de marche et que ce soit pour des raisons économiques ou écologiques, les gens sont attachés à entretenir leur véhicule jusqu’à sa fin de vie et le second enseignement est que les gens sont prêts à abandonner leur voiture si, et seulement si, l’autopartage devient massif, simple d’accès et bon marché, voilà le début d’un chemin positif à engager dès que possible.

Au lieu d’embarquer tout le monde, cette délibération présente un risque de braquer une partie de la population et ne permettra pas d’atteindre l’objectif de réduction des pollutions que nous partageons. Pour toutes ces raisons, nous ne sommes pas convaincus par l’opportunité de cette délibération. Nous la trouvons déséquilibrée et nous nous abstiendrons.